samedi

avenir du passé

*



Où sont donc passés les jours enfuis à ne pas avoir su les vivre ?

Ces jours perdus que l'on voudrait récolter comme on moissonne après avoir semé.
Ces jours délaissés, à retrouver dans le grenier à grains, comme s'il était possible de les semer à nouveau pour ajouter quelque durée à l'existence.



Six mois déjà.
Comment ? C'était il y a deux ans ! Vous êtes sûr ?
Ce jour-là, qui compta comme un mois, il n'en reste qu'une traînée blanchâtre qui lentement se délite au fond de la mémoire.

Et toutes ces journées sans souvenir.
Abandonnées en chemin.
Dissipées d'un souffle.
Exfiltrées de quelques neurones poussifs. Matière grise inutile désormais.

Et les jours à venir ?
Ceux qui n'ont d'existence que dans mon imaginaire toujours tendu vers un ailleurs inaccessible.

Dans l'oeil, quelques étoiles du désir de durer brillent encore.
Pour les voir il faut le reflet. Le miroir d'un visage.
Un visage qui s'étonne du croire encore à venir.

jeudi

Visage de mère.

Enfant je repeignais les murs. Le pinceau trop chargé je faisais des coulures. je les laissais descendre lentement, alors qu'il aurait fallu les interrompre. Comme fasciné, je demeurais dans l'immobilisme.

Il me fallait observer jusqu'où elles iraient. L'épaisse goutte s'amenuisait peu à peu, sans toutefois disparaître totalement. Le coulure était nette, parfaitement verticale, sorte de fil à plomb inutile. Puis je pensais à ma mère qui n'allait pas apprécier. Une fois de plus elle élèverait la voix, ferait montre d'énervement. Ce n'est pas pour autant que j'intervenais. Pourtant le geste eut été simple : un petit coup de pinceau à l'horizontale et s'en était fini d'elle. Plus de coulure.

Mais je restais en suspens, quasiment fasciné par la descente du filet de peinture, la même descente qui me mènerait aux enfers des courroux maternels.

- « je t'ai montré comment faire ! Tu le fais exprès ou quoi ! espèce de sale gosse ! »

Elle n'avait pas tort, je le faisais exprès.
La nécessité de braver, sans doute. Le besoin d'une relation perverse, peut-être.

Le coup de pinceau pour interrompre l'inexorable déchéance de la coulure, c'est à travers sa défigure de mère que j'aurais aimé le donner.
J'aurais dû le faire peut-être !
À moins que dans un ultime effort filial, je peigne sur sa figure un visage de maman.

Au moins cela m'aurait donné une raison de l'aimer...
ATELIER D'ECRITURE

La photo est de Jean-Sébastien MONZANI


Incipit : "Ma voiture n'a pas démarré ce matin"
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Ensemble : toujours vers "plus"


- Ma voiture n'a pas démarré ce matin, déclame le premier.
- ma voiture n'a pas démarré hier, poursuit le second.
- ma voiture ne démarre plus depuis trois jours, ânonne le troisième.
- ma voiture n'a jamais démarré, continue le quatrième.
- ma voiture n'a plus de moteur, prolonge le cinquième
- ma voiture est un tas de boue, s'obstine le sixième.

Fin de la première rangée.

Chacun regarde le manuel qu'on lui a remis, où figure la photo d'une de ces anciennes voitures qui rappelle des vieux souvenirs d'enfance.

Je pense : Mais qu'est-ce que c'est que ce cirque ! Vous verrez, m'avait dit le nouveau directeur, c'est un stage de motivation très novateur. Il faut que vous le suiviez au même titre que tous les ouvriers de l'usine. C'est indispensable que vous connaissiez les nouvelles méthodes que nous avons adoptées.

Deuxième rangée des ouvriers :

- je veux une voiture qui démarre, éructe le premier
- je veux une voiture qui démarre tous les jours, proclame le second
- je veux une voiture performante, vitupère le troisième
- je veux une voiture avec un moteur haut de gamme, clame le quatrième

Je pense : ce n'est quand même pas possible que l'on en soit arrivé là. Quand on a été racheté par les Indochinojaponais, il était clairement décidé qu'ils s'adapteraient à nos propres méthodes de management. Pas l'inverse.

Les deux dernières rangées d'ouvriers : en choeur, martelant chaque phrase en lisant le manuel :

- Chez RenaultYota
je serais un bon gars
auto solide on fera
pour le patron on trimera
les congés on refusera
chaque voiture démarrera
sinon on se trucidera

Je suis au milieu d'eux, je ne sais comment réagir. Je ne peux quand même pas me taire devant de telles méthodes, moi l'ancien patron ! Moi qui dirigeais notre empire automobile depuis sept générations !

Tout à coup, à l'arrière une détonation de revolver.
Chacun plonge le nez dans son livre.

Dans le fond de la pièce, j'entends la voix tonitruante du manager principal beugler :

Mauvais ouvrier,
toujours supprimé !

dimanche

Poème d'anamour
illustrations : Oeuvres de Jean Rustin








Je te dirai jamais je t'aime

Parce que je voulais pas de toi
dans mon ventre
parce que tu m'as déchirée
en naissant





Je te dirai jamais je t'aime

Tu ne le mérites pas
tu es un sale gamin
qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu
pour qu'il fasse naître cette horreur






Je te dirai jamais je t'aime

T'es pas capable de me faire plaisir
Tu ne fous rien à l'école
regarde tes notes
petit con




Je te dirai jamais je t'aime

Je ne sais pas ce que c'est qu'aimer
je n'en suis pas capable
je ne vaux rien
je ne suis personne





Je te dirai jamais je t'aime

Arrête de me le demander
j'ai pas d'amour à donner
que des béances
saignantes


Je te dirai jamais je t'aime

À quoi cela sert-il
tu sais bien
tout ce que je fais pour toi
cela devrait suffire







Je te dirai jamais je t'aime

Parce que toi
tu le dis pas non plus
alors j'attends
décides-toi à m'aimer


Je te dirai jamais je t'aime

pendant qu'on fait l'amour
j'ai pas envie de parler
tu prends ton plaisir
ça ne te suffit pas ?







Je te dirai jamais je t'aime

l'amour est un mensonge
faut pas dire les choses
sans les penser
c'est mauvais







Je te dirai jamais je t'aime

Tu es trop vieux maintenant
desséché, aigri, moche
c'est trop tard
tout est raté.


J'aurais aimé pouvoir te dire je t'aime

_o0o_

lundi

Dans la série des jeux pour enfants : "1,2,3 soleil"
et que personne ne soit dans la lune ...

vendredi

dessin composite de Folon


Il y a longtemps que je vis comme cela à son crochet.
Ce n'est point sans interrogation mais c'est ainsi.
Il n'est pas envisageable que je change.
La question ne se pose même pas.

J'étais en chute libre lorsque c'est arrivé.
J'étais tombé de haut en apprenant la nouvelle.
Je me disais que la chute serait longue.
Il n'y avait autour de moi que des bulles d'individualisme,
des ronds d'indifférence.


Et puis il est arrivé,
juste à point,
à point d'exclamation,
étonné que je tombe ainsi.


Je me suis accroché à lui
comme un noyé de l'espace
espère un grain favorable de vent solaire


Alors il me questionna
sur moi
sur les raisons de ma déchéance
il se fit interrogation
parachute salutaire
je l'ai serré très fort.


Il y a longtemps que je vis comme cela à son crochet.
Ce n'est point sans interrogation mais c'est ainsi.
Il n'est pas envisageable que je change.
La question ne se pose même pas.

jeudi

Le facteur ne passera pas

Ecrivez un texte sur le thème de l'absence et du manque. Il doit comprendre au moins une allusion à l'absence d'un facteur, et d'une lettre très attendue en particulier.

C'était quand déjà ?

Il s'était juré de ne pas oublier. Mais voilà, les jours, les mois, les années passent. Vite. Pourtant, il demeurait encore chaque jour longtemps à la fenêtre. Debout, à regarder au loin. Il avait vu grandir les arbres, pousser de nouvelles branches, se former de nouvelles feuilles. Il s'était mis à les aimer, jusqu'au jour où des bûcherons avaient tronçonné. Il avait alors serré les poings, grincé des mâchoires et plissé les yeux d'un regard haineux. La croissance des arbres représentait pour lui une espérance qu'ils venaient d'abattre.

Ils n'étaient encore que de jeunes arbustes lorsqu'elle remontait l'allée en accélérant l'allure à mesure qu'elle approchait de sa maison. Il percevait alors son désir, sa soif de sa bouche, la fièvre de son corps, l'impatience de ses mains sur elle, son avidité à le recevoir, à serrer les cuisses pour ressentir la pénétration profonde de son sexe durci. Parfois tout se passait debout dans le couloir à peine avait-il ouvert la porte. Parfois elle l'obligeait à monter au grenier, enlevant un à un ses vêtements qu'elle laissait tomber sur les marches en riant. Elle disait vouloir entendre grincer les lames du plancher sous ses coups de boutoir.

Ils parlaient peu. Juste quelques mots forts. Des mots presque obscènes. Parfois elle hurlait : « Baise ! baise ! baise ! Enfile-moi ! », secouée de spasmes intenses. Un jour il lui cria : « salope ! », elle le gifla, mais la jouissance fut alors si intense qu'ils en furent tous les deux excessivement troublés.

C'était fini tout cela. Ce jour-là il avait attendu à la fenêtre, puis le suivant, puis le troisième, puis le mois, puis les années. Les arbres de l'allée grandissaient, se fortifiaient. Il espérait encore. Elle n'avait pas dit qu'elle ne reviendrait pas. Elle n'avait rien dit, rien laisser paraître. Il aurait pu la chercher dans la ville, mais il n'avait pas le courage d'affronter le renouvellement des découragements, lorsque l'on croit reconnaître l'autre mais qu'une fois de plus ce n'est pas elle.

Et puis, il y avait eu cette lettre que le facteur apporta, qu'il faillit ne pas voir au milieu des publicités et des offres multiples. Une enveloppe rouge, tapée à la machine (pourquoi n'avait-elle pas écrit de sa main). À l'intérieur un papier vert, criard-fluo, bien trop lumineux et juste ces mots, en très gros, occupant toute la feuille : « merci de tout ! Attends celle qui t'en supplie. ». C'était une écriture enfantine, malhabile et cependant fermement appuyée. Pour la première fois il la lisait. En un instant il réalisa qu'il ne connaissait rien d'elle, qu'il ne connaissait que son corps, ses formes, ses odeurs, ses jouissances débordantes, ses rires de petite fille mêlés à ses râles de femme libertine.

Il se reprit à espérer l'impossible retrouvaille. Les arbres étaient maintenant à maturité. Lui aussi. Mais il gardait cette espérance enfantine dans son coeur d'adulte. Durant toutes ces années il ne s'était approché d'aucun autre corps. Le souvenir lui suffisait. Certaines nuits il était comblé de rêves érotiques qui le réveillaient en sueur. Alors il se masturbait frénétiquement.

Et puis, des bûcherons arrivèrent. Les arbres furent abattus. Il apprit qu'un champignon les dévastaient. Il ne resta plus que les souches. Alors il entra en désespérance. On retrouva son corps dans le grenier. Desséché. C'est le facteur qui avait prévenu les autorités, à force de voir du courrier déborder de la boîte aux lettres.

vendredi

L’Enfer n’est qu’intérieur


Il avait creusé une sorte de cavité au sommet du crâne.
A l’aide d’une échelle de corde il s’aventura dans ce gouffre.
L’odeur était acre, la lumière faible.
Il traversa des zones luminescentes, peuplées de souvenirs joyeux, de nostalgies émues. Des brillances d’yeux lui rappelèrent des visages qu’il aima, des senteurs d’épices enivrantes lui évoquèrent ces nuits de plaisirs intenses dans des bras chauds.
Puis l’obscurité se fit plus épaisse, la froideur s’insinua dans ses pores, les odeurs devinrent suffocantes et curieusement chaudes dans cette atmosphère glaciale.
Ses turpitudes passées surgirent sans crier gare, ses pales mensonges, ses forfanteries cruelles, ses lâchetés, ses compromissions, tout cela se mis a suinter des parois, à dégouliner de partout, à jaillir en geysers visqueux qui l’éclaboussèrent d’abord désagréablement, puis, tous ces liquides poisseux, se mirent à lui coller à la peau, à se solidifier jusqu’à entraver ses gestes.


Alors il fut pris de panique, son cœur se mit à battre plus fort et son âme fut envahie de remords devant l’horreur de la scène qu’il suscitait par ses propres pensées.
Il était naïvement descendu trop loin, dans son enfer intérieur qui, à présent, le submergeait, lui coupait le souffle, le menaçait d’étouffement définitif.
Alors il saisit un long poignard qui ne le quittait jamais et l’enfonça dans la paroi poisseuse qui l’enserrait à présent de toute part. Dans une intense panique ses forces se décuplèrent et il frappa, frappa, frappa encore, mu par une frénésie haineuse contre lui-même.


Plus tard on retrouva son corps déchiqueté.
L’enquête conclue à un acte de folie meurtrière.
L’officiant religieux qui l’enterra eut ces paroles : « Qu’il soit délivré et que son âme aille en paix au royaume des morts».
Ses rares proches, héritiers de sa fortune, allèrent s’enivrer et se foutre de sa gueule dans de longues ripailles orgiaques et nocturnes.